«L’addiction n’est pas un trouble visible de l’extérieur»

À quel moment parle-t-on d’addiction? La doctoresse Sophia Achab, psychiatre responsable de la consultation spécialisée dans les addictions comportementales aux HUG, nous répond: «Il y a trois facteurs qui définissent l’addiction. D’abord, il faut que la personne soit vulnérable: une dépression, une faible estime de soi sont des facteurs connus. Une période de deuil, de chômage, de rupture peut jouer également un rôle. Ensuite, il faut un environnement propice. Cela inclut les fréquentations consommant aussi la substance ou que la substance soit disponible. Et enfin, il faut que le produit en lui-même possède des propriétés addictives. C’est le cas avec la cocaïne, le cannabis, l’héroïne et avec les comportements addictifs comme l’usage de jeux vidéo, internet.»

Qu’est-ce qui se passe dans le cerveau des personnes atteintes? «Le système de la récompense est activé. En consommant la substance ou en faisant l’activité addictogène, le cerveau perçoit une très forte récompense en lien avec une libération de la dopamine ou hormone du plaisir. La guérison n’est pas un terme qui peut s’appliquer en général à l’addiction. On peut parler de rémission après environ deux ans de contrôle de la consommation ou de l’activité.»

Les caractéristiques de l’addiction sont les mêmes, quel qu’en soit l’objet. Soit «la perte de contrôle, la poursuite de la consommation ou de l’activité malgré les conséquences négatives, l’automatisme et le fait que l’addiction prenne tout le champ de la vie».

Cocaïne et sexe, alcool et cigarette, les addictions combinées

Les professionnels observent ainsi que certaines addictions sont souvent combinées, car elles répondent à la même fonction recherchée par la personne: «Les héroïnomanes se tournent aussi souvent vers le cannabis, dont la fonction est également l’amnésie, l’oubli, la réduction de l’anxiété. Les jeux vidéo sont également souvent couplés à la consommation de cannabis, ils permettent d’oublier et de mettre les problèmes à distance, tout comme le visionnage incontrôlé de films ou de séries TV. On constate aussi que l’addiction à l’alcool, consommé pour réduire l'anxiété, améliorer l'humeur ou oublier des faits douloureux, est très souvent couplée à la cigarette, ainsi qu’aux jeux de hasard et d’argent. La consommation de cocaïne, qui peut répondre au besoin de stimulation des capacités intellectuelles et physiques mais aussi de la performance sexuelle ou le sentiment de confiance en soi, peut s’accompagner d’une dépendance sexuelle. Les workaholics (soit les addicts au travail) peuvent également présenter une dépendance au sexe ou à la pornographie, qui peut être ressentie comme une façon de gérer le stress professionnel.»

Enfin, l’addiction peut toucher n’importe qui. «L’addiction n’est pas un trouble visible de l’extérieur et présent uniquement chez certaines franges de la population souffrant d’exclusion ou vivant dans la marginalité, souligne Sophia Achab. En consultation, nous avons principalement des jeunes adultes et des adultes, même si des personnes âgées consultent également.» Les femmes, en revanche, sont minoritaires: «Il y a plus d’hommes qui consultent médicalement pour une addiction. Peut-être est-ce dû à la notion de honte, plus grande chez les femmes, d’afficher une dépendance, avec tout le stigma que cela sous-entend.»

La doctoresse Sophia Achab, HUG
«Il y a plus d’hommes qui consultent médicalement pour une addiction. Peut-être est-ce dû à la notion de honte, plus grande chez les femmes, d’afficher une dépendance, avec tout le stigma que cela sous-entend»

Le danger du désir assouvi

Michel Lovey, psychologue et bibliste, propose une définition spirituelle de l’addiction. Il a en effet travaillé avec des toxicomanes au foyer Rives du Rhône, à Sion, et a signé un essai, «Ce que dit la Bible sur le désir» (Éd. Nouvelle Cité) , dans lequel il réfléchit sur les limites de la tentation. «Le désir en soi n’est pas malsain, au contraire, il nous porte plus loin. Pour autant que l’on accepte de ne jamais être totalement comblé. Mais c’est la volonté de satisfaire entièrement le désir, et de manière répétée, qui nous entraîne vers la pente de l’addiction: nous ne désirons que la même chose, qui nous satisfait de moins en moins et nous empêche d’évoluer.»

Il rapproche également les sept péchés capitaux de la problématique de l’addiction: «Le gourmand, ce n’est pas celui qui apprécie de bien manger de temps en temps, c’est celui qui a besoin de manger tout le temps. L’addiction, c’est lorsqu’on fait de l’assouvissement de son désir un but vers quoi tout tend. Le but du gourmand, c’est de manger. Et c’est tout.»

«Le désir en soi n’est pas malsain, au contraire, il nous porte plus loin. Pour autant que l’on accepte de ne jamais être totalement comblé»

L’addiction selon Andreas Hykade, dans un court-métrage nommé «Nuggets»

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