A Berne, la logique écolo se heurte à l'économie

Plusieurs élus veulent muscler la lutte. Berne privilégie une solution trouvée avec tous les partenaires

Par Caroline Zuercher

Le succès est impressionnant. En 2017, la consommation de sacs en plastique jetables a été réduite de plus de 84% en Suisse par rapport à 2016. Plus de 30 entreprises du commerce de détail ont en effet adhéré à une convention visant à réduire le nombre de sachets remis aux caisses. Cet accord, signé en 2017, visait à éviter l’interdiction pure et simple de ces distributions, comme le prévoyait la Confédération.

Ce succès n’est toutefois qu’une victoire d’étape. Si les Suisses sont des champions du recyclage, ils produisent aussi une montagne de déchets. Chaque habitant utilise en moyenne 125 kilos de matières plastiques par an, dont 45 kilos d’emballages (année de référence 2010). Marco Pfister, chargé de campagne pour Greenpeace Suisse, livre un diagnostic sévère: «La Suisse n’en fait pas assez en matière de réduction des déchets, notamment plastiques.»

Pression politique

L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) se dit «conscient qu’un grand potentiel subsiste au niveau de la production et de la consommation des produits pour diminuer la quantité des déchets». La Confédération élabore une stratégie dans ce domaine. L’OFEV insiste sur un point: «Pour être efficace, une solution doit être trouvée avec tous les acteurs.»

Le camp écologique, lui, veut muscler la lutte. «Les producteurs ne vont pas agir sans pression politique, estime la conseillère nationale Adèle Thorens (Verts/VD). C’est ce qui s’est passé avec les sacs plastiques: les commerces ont décidé d’intervenir quand les Chambres ont adopté une motion de Dominique de Buman (PDC/FR) demandant de les interdire.»

Les parlementaires fédéraux évoquent d’autres solutions. La première serait d’agir en amont. «La plupart des emballages ne sont pas conçus pour être réutilisés ou recyclés, explique Adèle Thorens. Plus de 70% de nos plastiques sont incinérés. Certes, leur chaleur est récupérée, mais cette combustion produit des émissions de CO2. Et brûler ces matériaux, parfois après un seul usage, est un gaspillage absurde.»

Selon elle, il faut réfléchir à la question dès la fabrication. C’est ce qu’on appelle l’écodesign. Dans un postulat déposé en mars, Adèle Thorens cite en exemple la Commission européenne. Bruxelles vient de lancer une stratégie pour que les emballages plastiques soient réduits, réutilisables ou recyclables d’ici à 2030. L’écologiste demande au Conseil fédéral de suivre cette voie.

Une autre question concerne les microplastiques. Des scientifiques de l’Université de Berne viennent d’étudier les sols alluviaux des réserves naturelles de Suisse. Selon les résultats publiés dans le journal «Environmental Science and Technology» et révélés le 27 avril, 90% des terrains analysés en contenaient.

À Berne, des élus pointent du doigt les cosmétiques qui renferment ces microplastiques. Il s’agit de fins granulés que l’on trouve dans des exfoliants, des gels douche ou des dentifrices. Dans une intervention, Barbara Gysi (PS/SG) relève que la Nouvelle-Zélande, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni les ont bannis et demande au Conseil fédéral quelles mesures il compte prendre. Balthasar Glättli (Vert/ZH) exige pour sa part leur interdiction.

Ces requêtes trouvent logiquement un accueil positif auprès d’Isabelle Chevalley. En 2014, la vice-présidente des Vert’libéraux demandait pourquoi la Suisse n’instaurait pas de taxe anticipée de recyclage sur tous les plastiques, comme cela se fait pour le PET. Dans sa réponse, le Conseil fédéral privilégiait les mesures librement consenties par l’économie privée (avec la collecte des bouteilles)

«Agir à l’étranger»

Taxe, interdiction de micropolluants, écodesign… Les propositions foisonnent. Sans se prononcer sur chacune d’elles, Dominique de Buman (PDC/FR) estime que la bataille ne doit pas s’arrêter aux sacs. «Toute intervention qui vise à utiliser le plus raisonnablement possible les matières premières est juste. Il faut se rappeler que le plastique est produit à partir de pétrole, une matière première qui n’est pas renouvelable.»

Mais pour le camp bourgeois, les solutions doivent être économiquement raisonnables. Si Benoît Genecand admet que «l’économie traîne un peu les pieds», il oscille entre sensibilités écologique et économique. «Le gouvernement doit un peu forcer les acteurs de la branche, mais il faut le faire de manière libérale.» L’UDC fribourgeois Pierre-André Page est plus tranché. Selon lui, notre pays fait bien son travail. Un exemple? «Les communes rénovent leurs stations d’épuration pour trier les micropolluants.» À ses yeux, il faudrait plutôt agir à l’étranger et inciter d’autres pays à prendre des mesures avant de mettre en place des taxes supplémentaires en Suisse.

La conseillère nationale vaudoise Isabelle Chevalley soupire: ces réactions montrent que le chemin est encore long. Elle adresse une autre critique au système actuel: «On n’encourage pas le recyclage des déchets plastiques car ceux-ci sont nécessaires au fonctionnement de nos usines d’incinération, qui sont trop nombreuses dans le pays.» Les Vert’libéraux ont décidé d’agir dans les cantons pour limiter les nouvelles constructions.

Sauver les océans, une priorité mondiale

Par Alain Jourdan

La lutte contre la pollution des océans par les plastiques est un défi de même nature que celui qui a conduit les États à agir pour protéger la couche d’ozone avec le protocole de Montréal. Les organisations de défense de l’environnement souhaiteraient que l’ONU mette sur pied une grande alliance mondiale. «Il faut que les États encadrent la production et le traitement des déchets en plastique», explique Pascal Hagmann, ingénieur à l’EPFL et fondateur d’Oceaneye. En organisant des campagnes de prélèvements, son organisation a contribué à mettre en lumière la gravité de la situation. «Il faut organiser un sommet et mettre tout le monde autour de la table pour conclure un accord international», exhorte Marco Pfister, chargé de la campagne plastique pour Greenpeace Suisse.

L’ONU a commencé à poser des jalons. La question des déchets marins a été prise en compte lors de l’adoption des Objectifs de développement durable en 2015. Les États se sont engagés à les réduire de façon significative d’ici à 2025. Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a annoncé lors du Forum de Davos qu’il allait profiter de sa présidence du G7 pour pousser ses collègues à empêcher les océans de devenir «des tas d’ordures massifs».

En décembre 2017, plus de 200 pays ont signé à Nairobi une résolution, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), visant à éliminer la pollution des océans. Des promesses qui n’ont aucun caractère contraignant. «C’est un combat de longue haleine qui s’annonce, mais ce sommet a montré qu’il y a un réel appétit pour des transformations profondes positives», a expliqué Erik Solheim, directeur du PNUE.

La bonne nouvelle, c’est que la thématique de la pollution des océans n’est plus cloisonnée aux seules agences onusiennes en charge de l’environnement. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) souhaite aussi prendre part à cette guerre contre les déchets. En juin 2017, dans le cadre d’un cycle de conférences organisé à Genève, les participants ont évoqué les pistes à suivre pour réduire la présence des plastiques en mer. Outre la mise en place de nouvelles réglementations ou de traités, un consensus s’est dégagé pour dire qu’il fallait travailler à la valorisation des déchets pour en faire une source d’énergie. Exactement ce que propose la Fondation Ellen MacArthur avec son rapport «Pour une nouvelle économie des plastiques».

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