La décharge chinoise fermée, la panique gagne l’Europe

Après avoir absorbé jusqu’à 56% des déchets mondiaux de plastique, la Chine a fermé les vannes et créé un séisme en Occident

Par Olivier Wurlod

Depuis des années, la partition jouée dans les ports européens se répétait… Inlassablement. Une fois vidés de leurs tonnes de produits «made in China», les milliers de containers attendaient patiemment d’être une nouvelle fois remplis de marchandises avant de repartir en direction de la Chine. Rien à redire jusqu’ici si ce n’est la nature même des marchandises en question: des poubelles, des millions de tonnes de déchets de toute sorte dont l’Europe et les autres pays occidentaux ne voulaient plus, ne sachant qu’en faire. Des quantités telles que l’Empire du Milieu est aujourd’hui la plus grande décharge du monde, une situation devenue intolérable aux yeux de Pékin.

Au milieu de l’été dernier, le gouvernement chinois a donc averti ses partenaires occidentaux. À compter du 1er janvier 2018, les vannes chinoises se fermeraient pour 24 catégories de déchets solides. Un véritable séisme pour l’Europe et les États-Unis, totalement dépendants de la décharge chinoise, notamment pour absorber une partie de leur consommation pharaonique de plastique.

Prenez l’Union européenne. Sur la totalité des déchets plastiques collectés, la moitié est exportée, dont 85% environ en direction de la Chine. En tout, l’Empire du Milieu absorbait à lui seul 56% des déchets plastiques du monde, dont 7,3 millions de tonnes en provenance des pays développés (Japon, USA, UE) au cours de l’année 2016. Même la Suisse y expédiait une petite quantité des siens (lire ci-contre).

Après s’être voilé la face durant des années, les pays occidentaux se retrouvent confrontés à une réalité aussi problématique que nauséabonde, n’ayant pas les infrastructures nécessaires pour gérer autant de déchets supplémentaires. Aux États-Unis, un porte-parole de la Fédération nationale des déchets et du recyclage (NWRA) expliquait à l’AFP que certaines usines étaient contraintes de «stocker leurs déchets sur des parkings ou de louer des sites extérieurs». Un problème qui concerne également plusieurs pays de l’Union européenne.

Pays de substitution

Dans l’urgence, Bruxelles semble opter pour la solution de facilité qui se résume à chercher des marchés de substitution. Inde, Malaisie, Pakistan, Cambodge mais aussi certains pays africains représenteraient quelques candidats sérieux pour remplacer la Chine.

Depuis quelques mois, il a d’ailleurs été constaté que les exportations de déchets en direction du Vietnam et de la Malaisie étaient en forte hausse. «Une fuite en avant» inadmissible aux yeux des défenseurs de l’environnement. «L’exportation de nos problèmes environnementaux dans d’autres pays n’est évidemment pas la bonne solution», affirme Pascal Blarer. Pour le spécialiste «plastique» du WWF, l’important sera de «réduire au maximum notre dépendance au plastique ou au minimum de promouvoir et développer le recyclage».

Poursuivre sur la voie de l’exportation apparaît d’autant plus problématique qu’elle va se faire dans des pays peu dotés en infrastructures permettant de recycler ces plastiques – ou au moins de les incinérer. Les écologistes se plaignent du manque total de transparence de la part des pays les absorbant et craignent l’apparition de nouvelles décharges à ciel ouvert, dont une partie des déchets finira sa course dans les océans.

L’exemple chinois de ces dernières années est particulièrement parlant. D’après les scientifiques, parmi les cinq fleuves les plus pollués, quatre seraient chinois. En tout, 86% des déchets plastiques finissant dans les mers proviendraient des cours d’eau asiatiques. En tête le Yangtsé, suivi du Gange en Inde puis des fleuves Xi, Dong et Zhu Jiang en Chine.

Interdire ou réutiliser

À plus long terme, la décision chinoise pourrait toutefois avoir des répercussions positives, à l’exemple de ces initiatives qui se multiplient aux quatre coins de l’Europe. À la mi-janvier, la Commission européenne s’est ainsi fixé l’objectif de recycler l’intégralité des emballages plastiques utilisés sur le marché européen et de mettre un terme à l’utilisation de ceux à usage unique.

Le même mois, Londres a démarré un plan assez drastique de lutte contre les déchets, incluant la fin de la gratuité pour les sacs plastiques. Ces derniers jours, le Royaume-Uni a même franchi une étape supplémentaire en annonçant sur la BBC que les pailles, les touillettes ou encore les cotons-tiges seraient interdits d’ici à la fin de 2018.

Alors que la Suisse en est toujours incapable, la France a non seulement banni les sacs aux caisses des supermarchés, mais aussi ceux destinés aux fruits et légumes. D’ici à deux ans, l’Hexagone envisage même d’interdire vaisselle, gobelets et services en plastique.

Une nouvelle économie

Depuis deux ans, une initiative lancée par la Fondation Ellen MacArthur (célèbre navigatrice) circule. Présentée au Forum économique de Davos, cette «Nouvelle économie des plastiques» estime que la chaîne basée sur le concept «extraire, fabriquer et jeter» n’est plus viable, en particulier pour les emballages.

Les chercheurs au service de la fondation proposent la mise en place d’un «modèle d’économie circulaire» pour l’industrie du plastique. Concrètement, à l’inverse du modèle linéaire actuel (contribuant à épuiser les ressources), le concept est simple: revaloriser au maximum la matière.

L’idée semble séduire le monde industriel au vu de la succession d’annonces survenues ces derniers temps par des géants tels que Veolia, Coca-Cola, Nestlé, Danone, Procter & Gamble, McDonald’s ou encore Unilever. L’étude a su faire vibrer la corde sensible en affirmant que le système actuel – où seulement 14% des emballages plastiques sont collectés et recyclés dans le monde – débouchait sur des pertes en matériaux estimées entre 80 et 120 milliards de dollars.

La Suisse exporte de moins en moins de déchets plastiques

Par Marie Parvex

La Suisse produit chaque année quelque 780 000 tonnes de déchets plastiques. Environ 80% d’entre eux sont incinérés et quelque 10% recyclés (essentiellement à base de PET). Pour les 10% restants, soit 90 000 tonnes environ, ils sont exportés. Une situation motivée «uniquement par des raisons économiques», selon Xavier Prudhomme, directeur de Cand-Landi SA, une entreprise active notamment dans le recyclage des plastiques avec sa filiale RC-Plast. «En effet, il peut être moins cher de les vendre à l’étranger que de les incinérer en Suisse, où cela coûte entre 150 et 200 francs la tonne selon les incinérateurs», poursuit-il.

En juillet 2017, la Chine a annoncé qu’elle refuserait désormais les déchets qui ne sont pas de la matière secondaire, c’est-à-dire des matériaux triés et facilement réutilisables. Cette décision a eu un impact sur les exportations de déchets plastiques suisses. Ce même été, leur masse a commencé à diminuer pour passer sous la barre des 8000 tonnes mensuelles.

Dans le même temps, les exportations vers des pays comme la Chine, Hongkong ou l’Inde – qui étaient les principaux partenaires commerciaux de la Suisse hors Europe – se sont presque complètement taries. Il s’agissait de quelque 200 tonnes par mois jusqu’en été 2017. Les fortes fluctuations des courbes d’exportation et les petits volumes concernés indiquent que seul une ou deux entreprises suisses envoyaient des plastiques en Chine.

Des flux qui ont été en partie compensés par des exportations en légère augmentation vers la Pologne, la Slovaquie ou encore l’Italie. «La décision de la Chine de ne plus recevoir ces déchets a provoqué un reflux vers le marché européen. Mais les pays d’Europe ne savent pas non plus qu’en faire, ils deviennent alors plus sélectifs. Cela diminue grandement l’intérêt économique de l’exportation», explique Xavier Prudhomme.

L’Allemagne reste le pays qui reçoit la plus grande part des déchets plastiques suisses – environ la moitié du volume. Que deviennent-ils une fois là-bas? Sont-ils triés, réexportés en Asie ou ailleurs? «Dès lors qu’un déchet est exporté, sa traçabilité est perdue, répond Xavier Prudhomme. Seules les douanes sont en mesure de savoir qui les reçoit. Tous les pays où les plastiques sont enfouis en décharge, comme l’Italie ou la France, représentent un risque qu’ils finissent tout de même dans l’environnement et notamment dans la mer. C’est pourquoi notre entreprise milite pour un traitement de nos déchets en Suisse.»

La diminution globale des exportations suisses coïncide aussi en partie avec le développement du recyclage des plastiques ces deux dernières années. En Suisse alémanique, InnoRecycling en traite environ 20 000 tonnes par année. Côté romand, RC-Plast a vu le jour à Grandson en février 2016. Elle recycle des bouteilles en PET, un produit qui connaît déjà un excellent taux de recyclage en Suisse, et innove en proposant aux communes et aux grands distributeurs de reprendre tous les flaconnages plastiques qui ne sont pas du PET. Son usine peut recycler jusqu’à 24 000 tonnes de flaconnages. Pour l’heure, elle récupère gratuitement 2000 tonnes de flaconnages et 7000 tonnes de PET auprès de grands distributeurs et de certaines communes, mais prévoit d’augmenter ce chiffre de 70% en 2019. Elle a aussi des projets de développement dans les housses en plastique, c’est-à-dire les cornets des supermarchés et autres emballages. «Nous avons atteint nos prévisions budgétaires et nous prévoyons de dégager des bénéfices en augmentant les volumes», explique Xavier Prudhomme.

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