Grande distribution et monde industriel peinent à se désintoxiquer du plastique

Tout en disant prendre le problème à cœur, les grands groupes restent opaques sur leur consommation de matière synthétique.

Par Olivier Wurlod

Depuis quelques semaines, en mode quasi commando, des militants écologiques débarquent dans les grandes surfaces. Leurs courses terminées et payées, ils déballent leurs achats et abandonnent sur place leurs déchets. Venu d’Angleterre, ce mouvement baptisé «Plastic Attack» est en train de se répandre en Europe avec le soutien de Greenpeace.

Une première tentative vient d’être menée en Suisse romande par des membres de l’association environnementale. «Nous n’avons pas vraiment suivi le modèle anglais, car nous avions pour but de sensibiliser la population à la problématique des emballages à usage unique, notamment plastiques, mais aussi d’inciter les grands distributeurs à réduire massivement leur production de suremballages», explique Anne-Sophie Blanc, la bénévole en charge de l’opération qui s’est déroulée à la Migros de Pully le samedi 21 avril.
Le succès de ce type d’initiative traduit un agacement public croissant contre le suremballage des produits disponibles dans les supermarchés, lequel contribue à la pollution des océans. À elle seule, l’industrie de l’emballage utilise la majeure partie du plastique produit annuellement. Jusqu’à 40% d’après certaines statistiques récentes. Concrètement, cela représente le double du secteur de la construction (20% environ) et jusqu’à quatre fois plus que la branche automobile (8,3%). Et ce marché est en plein boom! L’étude «Repenser l’avenir du plastique» de la Fondation Ellen MacArthur indique en effet que la branche affiche une croissance de 5% par année. Si cette industrie poursuit sur cette voie, elle pourrait générer 310 millions de tonnes de plastique en 2050 (contre 78 millions en 2013).

Dans un contexte de pollution déjà massive de la planète, ces prévisions semblent enfin éveiller certaines consciences. À Bali, lors d’un sommet mondial sur les océans, une campagne a été lancée pour pousser gouvernements et industriels à repenser totalement leur manière d’emballer les produits. «Nous avons joué le rôle de spectateur pendant trop longtemps et le problème n’a fait que s’aggraver. Cela doit cesser!» déclarait à cette occasion Erik Solheim, le directeur de l’ONU Environnement.

Conscients du dégât d’image que provoque leur utilisation de ressources plastiques, les grands groupes et marques multiplient les annonces. Nestlé dévoilait il y a quelques semaines son ambition de ne proposer plus que des emballages 100% réutilisables ou recyclables d’ici à 2025. Pour ce faire, la multinationale évoque plusieurs pistes, dont tout un travail sur le packaging de ses produits. Lequel inclut notamment «l’élimination de certaines combinaisons d’emballage compliquées mélangeant par exemple plastique et papier ou l’utilisation de couleurs plus faciles à recycler».

Même tendance chez Danone, qui prévoit que sa marque d’eau Evian n’utilisera plus que des bouteilles à base de plastique 100% recyclé d’ici à 2025. Dans cette optique, l’entreprise française s’est associée à une start-up dont la technologie permettrait de réutiliser sans fin le PET (actuellement la matière synthétique ne peut être recyclée qu’un nombre de fois limité).

Manque de transparence

Ces préoccupations, la grande distribution assure les avoir depuis plusieurs années. «En 2009, Migros a émis des lignes directrices en matière d’emballage basées sur le principe éviter, réduire et recycler», explique une porte-parole, en assurant que le géant orange a des objectifs ambitieux d’optimisation de ses emballages. Idem chez Coop, qui affirme en plus avoir économisé quelque 2675 tonnes d’emballages depuis 2012.

Seulement, ce chiffre ne signifie rien si on ne connaît pas l’évolution de la consommation de plastique du groupe durant la même période. «Nous ne collectons pas ces chiffres», prétend Andrea Bergmann, porte-parole de Coop. Difficile à croire. Comment en effet Coop peut-elle estimer ses économies en matière plastique sans connaître sa consommation totale?

Pourtant, aucune des entreprises contactées pour cet article n’a été à même de fournir une quelconque statistique. Nestlé, par exemple, déclare «avoir réduit de 100 000 tonnes ses processus de production à la fin de l’année dernière, soit l’équivalent de dix tours Eiffel». Mais comme chez Coop, les statistiques se limitent aux économies. «Nous surveillons le matériel que nous utilisons et rendrons compte régulièrement des progrès réalisés dans le respect de nos engagements», explique, sans plus de détails, Rumjhum Gupta, porte-parole de Nestlé.

Ce manque de transparence permet de supposer que la consommation de plastique a explosé ces dernières années, tant dans l’industrie que dans la grande distribution. «Les plastiques que le consommateur voit en rayon ne sont que la face cachée de l’iceberg, car bien des emballages sont utilisés avant même la mise en rayon des produits», rappelle Marco Pfister, chargé de campagne plastique pour Greenpeace Suisse.

«La faute» au consommateur

Quant à la mise en place d’une économie circulaire du plastique, tant plébiscitée actuellement par l’industrie et dont le concept central est de limiter le gaspillage de ressources à l’aide du recyclage, elle ne convainc qu’à moitié. «Une grande partie des déchets d’aujourd’hui est déjà recyclable, mais elle n’est pas pour autant recyclée», regrette Marco Pfister. Cette réalité fait le jeu de l’industrie et des distributeurs puisqu’elle leur permet de reporter la faute sur les consommateurs ou les États.

Nestlé estime du reste que ces derniers auront «un rôle essentiel à jouer» en éliminant correctement les déchets plastiques ainsi qu’en construisant les infrastructures suffisantes pour les recycler. L’attitude de la multinationale révulse les défenseurs de l’environnement. «En voulant éduquer les consommateurs à mieux trier et en poussant les États à améliorer leurs systèmes de gestion des déchets, les entreprises oublient que prévenir est mille fois mieux que guérir», explique Marco Pfister. Lequel estime que la seule solution viable est de réduire massivement les emballages.

Dans un monde où deux milliards de gens n’ont pas encore accès à un système de traitement des déchets, on peut effectivement se poser des questions sur la stratégie des industriels.

«Éveilleur de conscience, militant ou scientifique. Qui sont ces héros luttant contre le plastique?» À lire jeudi dans «24 heures» et la «Tribune de Genève»

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