Cinq héros en guerre contre le plastique

Actifs sur le terrain ou éveilleurs de consciences, ils sont nombreux à vouloir libérer la planète de cette matière qui l’étouffe

Ils sont océanographes, ingénieurs, explorateurs, entrepreneurs ou encore artistes. Ils sont originaires de pays divers et issus de plusieurs générations. Qu’ils veuillent s’engager sur le terrain ou éveiller les consciences, ils partagent le même but: une planète libérée de la pollution plastique qui l’étouffe. Portrait de cinq de ces «héros» de la lutte contre le plastique.

1. Yvan Bourgnon veut bâtir un bateau capable de ramasser les plastiques venant des fleuves

Le quadrimaran révolutionnaire n’existe pour l’instant que sous forme de maquette ou d’illustration 3D, mais il porte déjà un nom, le «Manta». Sa construction représente le plus gros défi jamais relevé par le navigateur et explorateur suisse Yvan Bourgon (46 ans), pourtant habitué à lutter seul sur son catamaran de course contre les éléments déchaînés. C’est d’ailleurs lors de son tour du monde au ras de l’eau sur cette petite embarcation qu’il s’est décidé à fonder The SeaCleaners. Cette association, créée à l’origine pour observer le problème du plastique en mer, s’est par la suite chargée d’étudier la faisabilité de construire un quadrimaran pouvant non seulement ramasser les déchets en mer, mais aussi les transformer en carburant.

En vieux loup de mer, Yvan Bourgnon s’est entouré des meilleurs spécialistes. Deux ans après le début de l’aventure, il peut hisser la grand-voile: «Manta» est techniquement viable, il reste «juste» à le financer.

En résumé, l’énorme bateau ramassera les plastiques là où ils atteignent la mer, c’est-à-dire à l’embouchure des grands fleuves, grâce à un système de tapis roulants. Les plastiques seront soit compactés pour être ensuite ramenés sur terre vers des usines de transformation, soit directement utilisés pour alimenter le bateau en gasoil, grâce à un procédé appelé pyrolyse. Pas question pour le natif de La Chaux-de-Fonds d’aller nettoyer les océans grâce à un «aspirateur» qui pollue. Le «Manta» fonctionnera à 75% en énergie propre.

The SeaCleaners a maintenant deux ans pour récolter les 30 millions nécessaires pour passer du rêve à la réalité, c’est-à-dire la construction du bateau. «Avant même le début de recherche de fonds, nous en sommes déjà à 25% du budget!, se réjouit l’initiateur. Et nous sommes en discussion avec un industriel qui pourrait nous verser 1 centime d’euro par bouteille de plastique vendue. Une sorte d’impôt à la source!» Si le projet maintient son cap, le «Manta» devrait prendre la mer en 2023.

2. Merijn Tinga parcourt les mers avec son surf fait de déchets plastiques

Sur son surf composé de déchets plastiques, la mèche rebelle au vent, Merijn Tinga fait un peu éternel adolescent. Âgé de 44 ans, cet artiste néerlandais, biologiste de formation, estime depuis plusieurs années être en mission. Après avoir pris conscience de la pollution plastique croissante dans la nature, il consacre désormais son existence à éveiller les consciences sur cette situation alarmante.

Pour parvenir à ses fins, le Néerlandais a combiné sa passion pour l’aventure et le sport à son esprit artistique en fabriquant une première planche de surf à l’aide de déchets plastiques trouvés sur la plage près de chez lui. Grâce à elle, Merijn Tinga tente, en 2014, de longer l’ensemble des côtes des Pays-Bas, en partant de la Belgique et en remontant vers l’Allemagne. Un échec sportif puisque après trois jours, le surfeur doit abandonner, mais un vrai succès médiatique auquel il doit son surnom: «The Plastic Soup Surfer».

Il réitère l’expérience deux ans plus tard et traverse en kitesurf la mer du Nord en partant des Pays-Bas pour arriver en Grande-Bretagne. Un exploit réussi cette fois. Puis en 2017, toujours à l’aide d’une planche faite de déchets, il descend le Rhin en Paddle. En vingt-huit jours, il parcourt les 1200 km séparant la source du fleuve, en Suisse, de son embouchure, à La Haye.

Après avoir réussi à faire plier le gouvernement néerlandais en le poussant à instaurer un système de consigne sur les bouteilles en PET, l’aventurier s’attelle désormais à convaincre l’industrie de l’emballage de changer ses pratiques. Selon lui, «la législation doit être adaptée chaque fois qu’il y a un risque que des déchets plastiques terminent dans une rivière, un lac ou une mer».

3. Marco Simeoni mène sa course contre la pollution plastique des océans

«Avec cette odyssée de cinq ans, nous souhaitons démontrer que des solutions durables existent, grâce à des technologies innovantes, pour préserver les océans du plastique», explique Marco Simeoni. Depuis un an, l’initiateur du projet Race for Water a lancé son catamaran dans une course contre cette pollution qui envahit nos océans. Pour cette épopée, l’embarcation, plus connue sous le nom de «Planet Solar», ne tourne désormais plus seulement à l’énergie solaire. Elle a en effet été équipée de 25 réservoirs à hydrogène et d’une voile à traction de 40 m2.

Contrairement aux ambitions d’un Yvan Bourgnon, Marco Simeoni ne part pas à la chasse au plastique. En tout cas pas au sens figuré. Son expédition servira certes à éveiller les consciences mais aura surtout un enjeu scientifique. Le projet Race for Water a en effet pour mission de mieux comprendre l’impact du plastique – et plus spécifiquement des microparticules produites à partir de cette matière synthétique – sur les océans et sur les écosystèmes marins. Depuis le début du périple, Race of Water a ainsi accueilli 23 chercheurs, dont 12 scientifiques issus du programme européen JPI Oceans.

Mais l’ambition de Marco Simeoni ne se limite pas à de la recherche, puisque le catamaran présentera au monde une machine capable de transformer le plastique en énergie. «Nous avons identifié les premiers sites potentiels et pouvons citer par exemple un projet avec la République dominicaine, Nuevo Domingo Savio», explique Philippe Gaemperle, directeur des projets de développement et de collecte de fonds. Après deux mois passés au Pérou, l’embarcation devrait prochainement reprendre la mer. Direction: Valparaíso, au Chili.

4. David Katz, l’Américain qui transforme le plastique en monnaie

«Aujourd’hui, la dernière chose que nous devons faire serait d’aller nettoyer nos océans. Car même si les compagnies de nettoyage finissent par atteindre leurs objectifs à 100%, ces mesures ne suffiraient pas.» À l’exemple de ce discours tenu lors d’une conférence Ted en décembre dernier, David Katz aime bousculer. Car, pour l’entrepreneur de nationalité américaine, «se contenter de sécher le sol lorsque le lavabo inonde votre cuisine n’est pas la bonne solution. Il faut commencer par fermer le robinet.»

Le problème du plastique est que 80% des déchets proviennent des pays les plus pauvres, où la question du recyclage arrive bien après leur source principale de préoccupation: se nourrir. Le concept élaboré par David Katz est simple: redonner de la valeur à la matière synthétique et s’en servir de monnaie à échanger contre des produits et des services.

Baptisée Banque du plastique, l’association joue en réalité principalement le rôle d’intermédiaire entre un réseau croissant d’entrepreneurs actifs dans le microrecyclage et le monde industriel prêt à racheter cette matière première. Testé depuis 2015 en Haïti, le modèle d’affaires élaboré par David Katz commence à prendre dans d’autres pays, tels que les Philippines, l’Éthiopie ou l’Inde. À terme, l’Américain rêve d’un réseau mondial incluant des citoyens de plus de 140 pays.

5. Boyan Slat et ses barrages destinés au nettoyage des océans

Boyan Slat a la folie de la jeunesse, la naïveté aussi, pensent certains scientifiques peu convaincus par ses idées. Son engagement écologique naît en Grèce lors de plongées où l’adolescent, alors âgé de 16 ans, ne peut que constater la désastreuse pollution marine qui frappe la mer. Dès lors, il n’a plus qu’une seule chose en tête: nettoyer les océans. En 2013, il préfère renoncer à poursuivre ses études d’ingénierie aérospatiale à l’Université de Delft pour parvenir à ses fins.

Entamé alors qu’il sortait à peine de l’adolescence, son projet baptisé The Ocean Cleanup divise autant qu’il rassemble. «Pour attraper le plastique, il faut agir comme le plastique», aime affirmer le jeune entrepreneur. À l’aide de barrages flottants au gré des courants, il compte récolter les déchets enfermés dans les vortex de déchets. Selon certains scientifiques, le procédé aurait le double inconvénient de ne capter ni les plastiques perdus en profondeur ni les microparticules trop fines pour ses barrières. Son enthousiasme semble toutefois porteur, au vu des 20 millions levés pour développer The Ocean Cleanup. Malgré ses détracteurs, il accumule les distinctions, dont le titre de «Jeune Entrepreneur de l’industrie maritime», décerné en 2015 par le roi de Norvège. «Forbes» l’incluait une année plus tard dans son classement des 100 entrepreneurs les plus intrigants au monde.

Boyan Slat veut accélérer le lancement de son premier barrage, prévu pour 2020 à l’origine, dès la fin de cette année. D’ici à cinq ans, il espère avoir nettoyé la moitié du plus grand gyre au monde: celui du Pacifique Nord.

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