Le risque: s'identifier à la victime

Le danger pour les régulateurs, c'est de s'identifier à la personne qui les appelle au secours. Ils doivent «brider leur instinct»

«Le stress monte lorsque nous savons que l’un de nos proches pourrait être impliqué dans la situation décrite par l’appelant», explique le capitaine Jean-Claude Klingler, responsable technique du Centre de traitement des alarmes (CTA) des pompiers vaudois. «Par exemple, lorsqu’un accident se produit sur le trajet actuellement emprunté par une personne que nous connaissons.»

Tous les régulateurs ont alors la même explication: pour surmonter le stress et gérer les alarmes difficiles, la solution est de discuter avec les collègues. Même s’il existe des services d’aide psychologique, tous les centralistes que nous avons rencontrés disent la même chose: ils n’ont jamais eu besoin d’y faire appel.

Cette obligation de rester détachés de ce qu'ils entendent est la clé. Mais cela va à l’encontre des instincts de chaque être humain et il faut presque se faire violence pour y parvenir. C’est l’avis de la psychologue Noelia Miguel. Elle est la responsable du groupe débriefing du Service de protection et de sauvetage de Lausanne (SPSL). Composé de quatre ambulanciers et de quatre pompiers professionnels, ce groupe est disponible pour l’ensemble des «partenaires feux bleus», qu’ils soient professionnels ou volontaires, après une intervention traumatisante.

Noelia Miguel suit une vingtaine de cas par année. «Psychologiquement, le risque principal est le trauma vicariant. À force d’entendre des récits traumatiques, la personne peut développer en quelque sorte un trauma par compassion. Cela peut affecter tous les intervenants de l’urgence: policiers, pompiers, ambulanciers, médecins, centralistes, professionnels ou volontaires, etc.»

Le schéma du stress

Mais le problème est aussi sensoriel selon Noelia Miguel. La cause naturelle, presque animale, n’est pas propre aux régulateurs, mais commune à l’ensemble de la population. «Plus que le fait de ne rien voir, c’est le fait de seulement entendre sans pouvoir agir qui représente un risque. Les sons font partie des informations sensorielles les plus difficiles à débriefer. On peut facilement décrire une image pour en parler a posteriori. Mais un son, comme une odeur, est difficile à décrire et donc à digérer.»

Les réactions face à un appel à l’aide sont donc naturelles. Il faut les comprendre, sans forcément les brider. Car le stress est normal dans une situation complexe et hors du commun. Le problème vient a posteriori. Au sein de la police cantonale, le premier-lieutenant Vincent Bornay parle de «schéma de stress». L’important est de réussir à en ressortir, pour être indemne.

Tout d’abord, lorsque survient un événement inhabituel, en l’occurrence un appel à l’aide, le stress est fort. «C’est une phase de chaos à gérer, image Vincent Bornay. Il faut être capable de recueillir les informations nécessaires pour accomplir la mission. Vers la fin de l’appel et après l’appel, vient une forme de décompression, où le stress redescend. Il faut ensuite se tenir prêt à recommencer.»

C’est la clé: réussir à passer du stade de décompression au stress habituel. Mais cela demande plus de temps que la phase de chaos. «Le problème intervient si cette récupération est coupée par un traumatisme nouveau ou trop difficile. Le risque est alors de redescendre et de ne pas réussir à remonter. Comme une accumulation.»

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