Le stress et la peur au bout du fil

Les régulateurs des centrales d'urgence de la police, des pompiers et des ambulances affrontent des appels au secours et des récits durs à entendre. Que vivent-ils et comment tiennent-ils le choc?

Photos: Odile Meylan
Vidéos: Julie Kummer
Textes: Mathieu Signorell
Montage vidéo: Romain Michaud
Correction: Alejandro Sierra

«L’un des pires appels que j’ai reçus, ça a été lors d’un incendie d’un chalet. La femme qui me parlait ne pouvait pas sortir de chez elle. Elle est morte alors que j’étais au téléphone avec elle.» Encore aujourd’hui, l’adjudant Francesco est marqué par ce souvenir glaçant. Il fait partie des 28 policiers qui répondent jour et nuit aux appels au 117, le numéro d’urgence de la police.

Le Centre d’engagement et de transmission (CET), c’est son nom officiel, est le centre névralgique de la police cantonale, là où sont reçus les appels et d’où sont coordonnées les équipes sur le terrain.

Le travail des régulateurs est particulier, à force d’entendre toute la journée des appels au secours plus ou moins urgents, parfois graves, voire traumatisants. Une réalité identique chez les centralistes du 118 (le numéro des pompiers) à Pully, du 144 (les ambulances) à Lausanne et de la Centrale téléphonique des médecins de garde (CTMG) à Lausanne également. Stress, parfois burn-out, voire traumas, les appels au secours peuvent avoir des effets importants sur ceux qui répondent au téléphone.

Délai de 90 secondes chez les ambulances et trois minutes chez les pompiers

L’an dernier, le député socialiste Alexandre Rydlo s’en est inquiété. Le Conseil d’État lui a répondu que tous ces professionnels sont formés à la gestion des appels difficiles et du stress, et qu’ils peuvent bénéficier de rencontres de débriefing. D’ailleurs, le projet de regrouper à la Blécherette les centrales du 117, du 118 et du 144 doit améliorer leur confort de travail.

Mais qu’est-ce qui rend ce métier particulièrement compliqué? Le discours est le même dans les quatre principales centrales vaudoises: le fait d’être aveugle et d’être obligé de se fier uniquement à ce que dit l’«appelant». Le but du jeu est alors de glaner le maximum d’informations en moins de temps possible, en parvenant à rester maître de la situation face à une personne parfois paniquée.

«Ce qui est stressant, c’est l’incertitude. Nous sommes des professionnels, mais nous sommes aveugles», explique François Demeules, l’un des régulateurs de la centrale du 144. «S’il y a une urgence, nous devons engager une ambulance en 90 secondes. Dans une situation classique, c’est suffisant. Mais il y a toujours une zone de doute et dès qu’un élément important manque, la localisation par exemple, ça peut devenir stressant.»

Le délai d’une minute et trente secondes peut s’écouler très vite. Chez les pompiers, il est de trois minutes. La police, elle, n'a pas de standard particulier.

Le premier-lieutenant Vincent Bornay, chef de la centrale d’alarme de la police cantonale, partage l’avis du régulateur des ambulances. «Le policier sur le terrain a parfois le temps de se préparer mentalement lorsqu’il se rend sur une intervention, de se faire son propre film des événements avant d’agir, explique-t-il. L’opérateur n’a pas ce temps en prenant la situation en direct, soit par la victime, soit par un témoin.»

Le plus difficile: les urgences avec les enfants

Beaucoup de régulateurs ont un même discours: les urgences où des enfants sont impliqués sont toujours stressantes. D'ailleurs, dans toutes les organisations de secours que nous avons rencontrées, une cellule de débriefing est systématiquement mise en place lors du décès d'un enfant.

«Les situations pédiatriques, comme un arrêt cardiaque, viennent nous chercher. On pense toujours à ces petits loulous et on s’inquiète pour eux. Notre imagination foisonne et ça amène un stress énorme», illustre ainsi François Desmeules, régulateur au 144.

Autre souci lors d'une urgence avec un enfant, les régulateurs ont parfois affaire à des parents ou des proches eux-mêmes inquiets. «Il y a cet aspect difficile de devoir juger un enfant au travers d'un parent. Le parent est stressé et doit traduire ce qu’il voit, et on doit se faire une image de l’enfant à partir de ça, d'où un stress», explique Séverine Greyo, de la centrale des médecins.

Elle ajoute une autre urgence inquiétante pour les régulateurs: les cas psychiatriques. Car on arrive là dans une situation particulière. «Parfois, dans ce genre de cas, les gens appellent pour demander de l’aide mais ne sont pas toujours disposés à accepter cette aide. Le lien de confiance est parfois très difficile à avoir.»

Rush de 9 h à 22 h chez les ambulanciers

L’accumulation est aussi une source de stress. Les appels s’enchaînent toute la journée, avec des creux toutefois. «L’intensité débute vers 9 h ou 10 h, lorsque les gens sont sur la route ou commencent leur travail, et dure toute la journée. Le calme revient vers 22h », illustre François Desmeules.

Mais quel est le parcours de ces régulateurs? Dans chaque centrale, ils ont fait des années de terrain avant de bifurquer. Au 144 et à la Centrale des médecins, tous ont été infirmiers ou ambulanciers. À la police cantonale, tous les régulateurs sont des policiers. Et chez les pompiers, tous sont ou ont été pompiers volontaires dans leurs communes.

Au moment de changer de voie, ils ont suivi plusieurs mois de formation interne sur la prise d’appel, la gestion du stress pour soi-même et la gestion du stress des appelants, les façons de garder au téléphone une personne suicidaire, etc.

«Nous comptons un an pour qu’un nouveau régulateur soit autonome», explique le capitaine Jean-Claude Klingler, responsable technique du Centre de traitement des alarmes (CTA) des pompiers vaudois, installé à Pully, dans les locaux de l’Établissement cantonal d’assurance (ECA).

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