La mémorable journée du pape superstar à Genève

Ils sont près de 37 000, sagement assis sur un banc ou une chaise. Certains patientent à Palexpo depuis le matin. À 16 h 50, une première clameur s’élève soudain au loin. Comme un cor qui résonne, un signal d’alarme universel: il est là. Le pape François vient d’entrer dans la Halle 5. Les cris de joie servent de géolocalisation, il est à droite, au fond, et puis d’un coup, il est devant nous, perché sur sa voiturette, saluant en souriant, serrant quelques mains. Pas d’hystérie mais une liesse sincère. Sa Sainteté parcourt la salle dans son véhicule sans toit, sans grande protection. Cette simplicité tranche avec les moyens déployés pour cette journée de tous les superlatifs. Récit.

Le matin, à 10 h, alors que Palexpo ouvre ses portes aux premiers visiteurs, le pape François atterrit sur le sol genevois. Il est reçu notamment par le président de la Confédération, Alain Berset, et le président du Conseil d’État genevois, Pierre Maudet. Les employés du secteur fret espèrent bien voir le Saint-Père: «Les officiels sortent toujours par ici normalement, j’espère qu’il ne nous fera pas une feinte!» Pas d’entourloupe, la Fiat du pape déboule. Un signe de main, un coup de vent, le voilà passé. La septantaine de badauds n’a même pas eu le temps de le héler. On finit son verre de coca et on remonte au bureau.

Pic d’affluence maîtrisé

Le convoi prend la route du centre du Conseil œcuménique des Églises (COE), au Grand-Saconnex. En venant à Genève, le pape répond à l’invitation de cette ONG, un signal fort en faveur de l’œcuménisme. De l’apocalypse routière annoncée, pas une trace. Les dispositifs des TPG et de la police portent leurs fruits.


Depuis le podium dans la chapelle du Conseil œcuménique des Eglises, le pape François a lancé un appel à l'unité des chrétiens

Au COE aussi il y a du public. Émotion dans la foule, «regardez j’ai même la chair de poule!» Après une prière œcuménique dans la chapelle, c’est reparti, direction l’Institut œcuménique de Bossey (VD) pour le repas. Pendant ce temps, dans la Halle 7 de Palexpo, les fidèles commencent à affluer. C’est encore timide: à 12 h 30, on dénombre 2700 personnes. Pour tuer le temps, on flâne vers les stands. Les livres se vendent comme du pain bénit, de «François l’Argentin» à «L’amour dans le mariage» et «Dieu est jeune». On se rue sur les gadgets dérivés: stylo, sac en toile, bougie «lumière divine». L’argent récolté sert à financer cette journée à plus de 2 millions de fr. à la charge du diocèse. On achète aussi du vin, pas de messe, mais une «cuvée du pape» produite par la Cave de Genève, et on se presse comme des groupies pour la photo avec un garde suisse.

À 15 h, c’est le pic d’affluence, un flot de fidèles se répand dans la Halle 7. Les écoles privées de France voisine sont bien représentées, 500 élèves pour Annecy, 600 pour Gex et autant de crucifix en plastique qui rebondissent sur les t-shirts. Le groupe du prêtre Ivan, originaire de Slovaquie, fait grise mine. Leurs joyeuses banderoles sont refoulées, elles outrepassent le gabarit réglementaire.



Le nombre augmente, pas l’attente: c’est fluide aux portails de sécurité. On ne peut que relever l’efficacité de l’organisation. Même rigueur dans la Halle 5, où se déroule la messe. Au sol, une ligne jaune pour les 400 journalistes et photographes. Le but: éviter qu’ils ne circulent à tout va et ne dérangent les fidèles. Chaque visiteur trouve une place assise dans l’un des 27 secteurs. Mieux vaut avoir son pique-nique, la poignée de stands est prise d’assaut. Bientôt, il ne reste plus que des miettes en vitrine et plus une goutte d’eau gratuite: le stock de bouteilles en libre-service est à sec.

Il est 16 h 30, plus personne n’entre ni ne sort. 37 000 fidèles – sur les 41 000 attendus – patientent. On lit le carnet liturgique, «Voici», «Picsou Magazine». Les soutanes et les sandales – avec ou sans chaussettes – fraient avec les boubous africains et les shorts de scouts. On vient d’Appenzell, de France, de Bosnie, du Valais. Leticia, Santiago et leur fille portent le drapeau espagnol en cape et croulent sous les médailles de Notre Dame de Rocio. Ils sont impatients: «C’est un pape magnifique, si proche des gens!» Il y a aussi 300 bénévoles, comme Audrey, scout de 17 ans. «C’est un accomplissement de venir ici, de partager ce moment.»



Le chœur de 40 chanteurs entame un Alléluia, le pape fait son entrée puis grimpe sur l’estrade de 960 m2. Face à l’autel conçu par deux ébénistes genevois, il prend place dans un fauteuil étroit, aux mensurations dictées par le Vatican. Des lumières bleutées, du blanc et du pastel, le décor est sobre, presque aseptisé. La messe démarre. Les visiteurs sont disciplinés, même s’il y a bien quelques dissipés: au journaliste qui pianote sur son téléphone, une septuagénaire chuchote à l’oreille: «Il y a combien au match? Toute la rangée se demande si la France gagne…»

Le pape prend congé des fidèles sous un tonnerre d’applaudissements. «Arrivederci!» lance-t-il. À 19 h 15, la halle est vide. François décolle à 20 h. Avec dans ses bagages, quelques présents, dont la fameuse «Bière de l’évêque», la mousse du diocèse.

Texte: Aurélie Toninato

Impressions du pape dans l’avion du retour

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