La technologie vaudoise dans l'espace

Des décennies avant Claude Nicollier, notre canton avait déjà envoyé de petits morceaux de lui loin de la Terre. Tour d’horizon de ces fragments de patrimoine qui ont foulé le sol lunaire.

Edwin «Buzz» Aldrin portait une Omega à son poignet, ce fameux 20 juillet 1969 pour sa mission sur Apollo 11. Image: Keystone

Edwin «Buzz» Aldrin portait une Omega à son poignet, ce fameux 20 juillet 1969 pour sa mission sur Apollo 11. Image: Keystone

Une montre aux origines vaudoises

La Speedmaster est le seul garde-temps à avoir passé tous les tests imposés par la NASA.

Erwan Le Bec



Plus besoin de présenter celle qui est devenue la Moonwatch, la Speedmaster d’Omega, qui a équipé les poignets des astronautes d’Apollo. L’horlogerie s’en est abondamment chargée, faisant du chronographe qui a servi à Neil Armstrong pour ses calculs un modèle de légende et un succès marketing. Même si un doute subsiste: Buzz Aldrin aurait aussi emporté sa Bulova. Mais qu’importe. Dans le module lunaire, ce 21 juillet, accrochés sur des bracelets de Velcro, ronronnent des mouvements suisses. Il s’agit de calibres 321, produits entre 1957 et 1969. D’autres évolutions suivront, améliorant largement le 321, avec ses 18'000 alternances par heure et son design simple, mais robuste et résistant. C’est d’ailleurs pour ça que la NASA l’avait sélectionné.


Image: THE BOARD OF TRUSTEES OF THE SCIENCE MUSEUM

Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que ce mouvement devenu culte (Omega vient d’annoncer sa reproduction) est une reprise, améliorée en 1946, par la firme biennoise du calibre 27 CHRO C12. Ce nom résonne encore dans les couloirs de l’ancienne manufacture Lémania, sur les rives du lac de Joux. C’est en effet là que le calibre a été élaboré dans les années 1940 par un certain Albert Piguet, à qui on demandait un chronographe automatique aux dimensions réduites. En juillet 1969, il avait sans doute un petit sourire aux lèvres.


Le VELCRO, des forêts suisses à la Lune

La NASA a tapissé ses vaisseaux de cette matière inventée à La Côte.

Raphaël Ebinger



C'est en regardant son chien, en rentrant d’une balade en forêt que George de Mestral (1907-1990) est entré dans l’histoire de la conquête spatiale. En recopiant les bardanes qui restaient collées sur les poils de son animal de compagnie après les balades en forêt, l’ingénieur diplômé de l’EPFL a inventé le Velcro. La bande scratch a rapidement séduit la NASA, qui lui a offert une visibilité mondiale inespérée.

L’agence américaine l’a utilisé dès la mission Gemini 6, en décembre 1965. La fermeture autocollante permettait de fixer les objets dans la cabine pour éviter qu’ils ne flottent en apesanteur. Les combinaisons des astronautes en étaient aussi dotées. Il y en avait sous leurs chaussures et dans la paume de leurs gants. Les hommes de l’espace s’accrochaient ainsi sur les parties de la capsule qui en étaient recouvertes lors des sorties extravéhiculaires. Ce qui facilitait leurs mouvements en évitant les rebonds.


George de Mestral tenant entre ses mains son invention: le Velcro. Image: DR

La NASA a apporté beaucoup de crédit à l’invention vaudoise. À l’époque, le Velcro semblait être une solution miracle à plusieurs défis technologiques. À la fin des années 1960, il participait à une autre aventure, celle du cœur artificiel. Les deux ventricules du premier organe implanté de manière temporaire étaient collés avec du Velcro.

Quelques années plus tard, le «Reader’s Digest» explique que des études sont en cours pour assembler les ailes des avions avec de la bande agrippante. L’idée était de «régulariser la traînée et augmenter l’aérodynamisme.» Des essais avaient aussi eu lieu pour remplacer par du Velcro une partie des milliers de rivets servant à assembler les voitures. Ces idées n’ont pas abouti.

Avant le succès, George de Mestral a toutefois dû travailler des années. Sans le soutien de mécènes, il n’aurait sans doute pas été en mesure de faire profiter le monde des résultats de sa créativité. Entre l’idée et le dépôt du brevet, en 1951, il s’est passé plus de dix ans de recherche acharnée. Une fois le procédé mis au point, le génial inventeur a développé les machines pour l’industrie. Il a d’ailleurs lui même produit des kilomètres de Velcro dans son usine d’Aubonne, où il a instauré, en pionnier, la semaine de quatre jours et 40 heures de travail pour ses employés dans les années 1960. Selon son calcul, la productivité avait ensuite augmenté de 10% malgré la réduction du temps de travail.


L’enregistreur Nagra a fait le voyage...

... mais plus tard.

Vincent Maendly



Une idée tenace veut que Neil Armstrong et ses pairs aient utilisé un enregistreur de modèle Nagra SN, fabriqué à Cheseaux-sur-Lausanne, pour documenter leurs échanges vocaux à bord d’Apollo 11. Plusieurs écrits, tardifs et non officiels, semblent le suggérer. «Nous avons fait des recherches, et en réalité il n’existe aucune preuve de cela», explique Marguerite Kudelski, présidente d’Audio Technology Switzerland SA, qui fabrique les appareils Nagra audio. Selon la fille de l’inventeur Stefan Kudelski, il est même peu probable qu’un SN ait été à bord de la fusée. «La version finale du Nagra SN a été commercialisée très peu de temps après, en 1969. Je doute que la NASA ait choisi un prototype pour une telle mission.» Ce qui est avéré – et cela explique la déformation de l’histoire – c’est que la marque Nagra a bel et bien fait partie du programme Apollo. En témoigne le rapport final «Apollo-Soyuz Doppler-Tracking Experiment» du Smithsonian Astrophysical Observatory. Daté de 1976, ce document détaille notamment l’équipement des astronautes lors de missions scientifiques. «Le matériel utilisé pour la lecture des bandes était un magnétophone Nagra SN-S modifié, utilisé aussi comme préamplificateur», y lit-on. Était aussi à bord «un lecteur de bande spécialement conçu pour convertir les signaux Manchester biphase en un flux binaire pour ordinateur numérique.»


Un Nagra SN. Image: NAGRA/DR

Pas étonnant que la NASA ait choisi la pionnière Nagra et son modèle SN; celui-ci équipait déjà les espions américains et ceux d’autres pays. Le SN, pour Série Noire, se distingue de ses prédécesseurs – les Nagra I, II et III – par sa taille de poche. «Il est petit (ndlr: 10x15x3 cm environ), ne pèse que 500 g et fonctionne avec deux batteries de 1,5 v, décrit Marguerite Kudelski. Il est aussi très simple d’utilisation, avec un seul bouton pour enclencher et stopper l’enregistrement. Il n’y avait pas d’avance rapide et le rembobinage se faisait à l’aide d’une petite manivelle.» La taille du SN et sa qualité en ont aussi fait un produit prisé par l’industrie cinématographique, car facile à dissimuler sur le costume des acteurs. Il s’en est fabriqué 15'000 dans l’usine des hauts de Lausanne.


Une tasse de café, au clair de Terre

Envoyée dans l’espace, Nestlé a pu afficher sa modernité.

Alain Détraz



Alunir à bord de son vaisseau, planter le drapeau de son pays, faire une déclaration suivie par 600 millions de téléspectateurs… Et après? Tout astronautes qu’ils étaient, Neil Armstrong et ses coéquipiers ont fait comme tout le monde. Bien installés sur la Mer de la Tranquillité, ils ont cassé la croûte. Le premier repas d’un humain sur la Lune était composé d’une boisson fruitée, de biscuits, de bouchées aux fruits, mais aussi de quelques carrés de bacon bien américains. Mais c’est à la Suisse que l’équipage d’Apollo 11 doit la conclusion de ce menu historique: une tasse de café ou, plus exactement, une ration de Nescafé qu’on devine dégustée à la paille en contemplant le clair de Terre.

Cette version américaine du Nescafé Gold est le seul produit alimentaire d’usage courant qu’ont pu consommer les cosmonautes. En effet, le procédé de lyophilisation du café venait pratiquement d’être commercialisé par Nestlé (en 1965) et répondait aux contraintes de la vie en apesanteur. Une interrogation demeurait cependant avant le lancement. Dans cet environnement confiné, où l’air est essentiellement composé d’oxygène, l’ébullition de l’eau se produit à 65 degrés. Alors chef du développement de produits chez Nestlé, à New York, Bruce Lister craignait une altération du goût ou de la solubilité de cette poudre.


Image: ARCHIVES HISTORIQUES NESTLÉ, VEVEY

Si l’on en croit les documents fournis par Nestlé, c’est en partie grâce à cet homme que l’entreprise a entretenu des contacts privilégiés avec les scientifiques de la NASA, après s’être invitée dans les rations de l’armée américaine. En plus du café, la multinationale veveysanne a développé pour l’espace des bouchées nutritives, des cubes aux angles arrondis, formés selon une technologie maîtrisée pour la production des cubes de bouillon Maggi. Ainsi, la conquête spatiale américaine a permis à la société de faire évoluer sa communication, de fournisseur de la famille royale d’Angleterre à ravitailleuse de cosmonautes.

© Tamedia