Emmanuel Borloz



Objectif Lune, acte II. Longtemps déconsidérée par la communauté scientifique qui n’avait d’yeux que pour Mars, la Lune signe un retour fracassant sur le devant de la scène. Depuis quelques années, des États engagés de longue date dans la conquête spatiale aux acteurs privés du «New Space», tous rêvent d’y aller. Ou d’y retourner. Tour d’horizon des projets et des motivations des uns et des autres.

La Chine en force

À tout seigneur tout honneur. Les États-Unis, unique nation dont des ressortissants (douze au total) ont déjà foulé le sol lunaire, ont récemment annoncé leur désir d’y retourner. Et vite. Baptisé «Artemis», le programme de reconquête de la Lune sauce US a été présenté fin mai par le boss de la NASA, Jim Bridenstine. En partenariat avec plusieurs sociétés privées qui ont déjà reçu des contrats en ce sens, les Américains prévoient d’y envoyer matériel et équipements dès 2020. Suivra deux ans plus tard la mission Artémis 2, qui enverra des astronautes en orbite lunaire avant qu’Artémis 3, l’équivalent d’Apollo 11, ne s’y pose, à l’horizon 2024. Mais contrairement à il y a un demi-siècle, la NASA table sur une présence durable sur la Lune. Avec au menu des programmes d’extraction d’eau, d’hydrogène et d’oxygène. De quoi permettre des ravitaillements pour l’objectif ultime. «Notre but final est d’aller sur Mars, et non d’être coincés sur la Lune», insiste Jim Bridenstine. À noter toutefois une contrainte de taille: la mégafusée (SLS) prévue pour la mission n’existe pas encore et son développement a pris du retard. Une aubaine pour le secteur privé qui pourrait être appelé à la rescousse.

Dans cette nouvelle course à la Lune, le Vieux-Continent n’est pas en reste. Parfois raillée pour sa timidité, l’Agence spatiale européenne (ESA) a confié à la société de lanceurs ArianeGroupe l’étude d’une mission pour un alunissage en 2025. Son but: la création d’une colonie autonome grâce à l’exploitation des glaces contenues dans les pôles ainsi que du régolithe, tous deux riches en oxygène et en eau. La aussi, notre satellite doit servir de tremplin pour de futures explorations.

En marge de cette étude de faisabilité, l’Europe, qui rêve d’un village lunaire, est impliquée dans plusieurs projets internationaux. «L’ESA collabore avec les Américains au programme qui vise l’orbite lunaire en 2022 puis l’alunissage de quatre personnes deux ans plus tard», confirme Bernard Foing, directeur du Groupe international d’exploration lunaire (ILEWG) de l’ESA. Toujours dans le cadre de coopération internationale, mais avec les Russes cette fois, «les Européens planchent sur un alunissage au pôle Sud vers 2023 pour mesurer les glaces qu’il contient». En plus de ce partenariat, les Russes, dont la sonde Luna 24 est la dernière à avoir ramené des échantillons lunaires en 1976, rêvent d’un ambitieux programme lunaire en solo avec un vol habité en 2031. Mais les contours du projet, techniques ou financiers, sont encore un peu flous.

Nettement plus convaincante, la Chine, avec 38 tirs réussis l’an dernier, s’affirme comme une puissance spatiale avec laquelle il faut compter. Après un premier alunissage réussi en 2013, l’Empire du Milieu, qui dépense des milliards dans son programme spatial, a été le premier à poser un engin sur la face cachée de la Lune en janvier. La sonde Chang’e 4 et son robot Yutu-2 sont d’ailleurs les seuls en activité sur notre satellite en ce moment.


La sonde israélienne «Bereshit» y était presque. Le 11 avril dernier, l’engin de 585 kilos allait se poser sur la Lune lorsqu’un des moteurs censés la ralentir est tombé en panne quelques secondes avant d’alunir. La sonde s’est écrasée. Image: DR

Enfin, pour marquer le coup en cette année anniversaire, d’autres États se sont mis en tête de décrocher la Lune. En avril dernier, la sonde privée israélienne Bereshit (Genèse, en hébreu) a tenté sa chance, mais s’est écrasée lors de sa tentative d’alunissage. L’Inde espère avoir plus de chances et devenir le quatrième pays (après les États-Unis, la Russie et la Chine) à réussir à se poser sur la Lune. En ce mois de juillet, l’Agence spatiale nationale (Isro) vise un alunissage. Le programme indien, Chandrayaan-2, prévoit de se poser au pôle Sud, où sera débarqué un rover. Il se focalisera surtout sur la recherche d’eau.

Le secteur privé en embuscade

Enfin, comment évoquer le regain d’intérêt lunaire sans évoquer la vague du «New Space», où le privé investit sans compter pour exister dans un marché jusqu’alors exclusivité étatique. Fort de jolis succès avec sa firme SpaceX, le milliardaire Elon Musk rêve déjà de conquérir Mars. En attendant, il ambitionne d’envoyer un premier touriste autour de la Lune, courant 2023. Le prix du ticket est un secret, mais «il paie beaucoup d’argent», sourit Musk, qui précise tout de même que la contribution du premier touriste lunaire, le milliardaire japonais Yusaku Maezawa, représente une portion significative du développement du programme, estimé à 5 milliards.

Son concurrent direct, Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde, vient de son côté de dévoiler le projet «Blue Moon». Atterrisseur de 15 tonnes, l’engin développé par la firme spatiale de Bezos, Blue Origin, rêve d’alunir au pôle Sud en 2024. Cible de toutes les convoitises, la Lune tient bel et bien sa revanche.