La pizza fait tourner la tête des Vaudois

Texte: Olivier Bot
Adaptation: Anetka Mühlemann
Motion Design: Océane Haenni



Poudrée de farine, dansant entre les mains expertes du pizzaïolo, drapée de rouge, sa pâte se pare ensuite d'une pluie d'ingrédients jetés par un semeur qui sait équilibrer couleurs et saveurs. Enfournée, elle ressort dorée et frémissante d'entre les briques chauffées au bois, pour être servie chaude et débordante dans son assiette. La pizza est reine de tablée, été comme hiver. Et même Miss Photogénique, puisqu'elle arrive en tête des clichés de nourriture sur Instagram, comme le relevait récemment The Economist.

Simple et pas chère, la pizza a conquis le monde. Elle s'est métissée au contact d'autres cuisines que la napolitaine des origines. Bridée de sushis, tapassée de chorizo ou marinée de crevettes ou de saumon, elle s'habille aux couleurs du pays qu'elle colonise. En Suisse, elle est venue en voisine, chantée par des Italiens, qui l'ont inscrite aux menus du coin. «Au début du XXe siècle, il y avait tous ces travailleurs italiens qui sont venus creuser des tunnels», situe Philippe Ligron, chef de l'Alimentarium de Vevey et historien de la gastronomie.

Vidéo: FABIEN GRENON

Dans le canton, on ne compte plus les ristorante et laboratori aux couleurs de Margherita, princesse de l'oriflamme tricolore. Depuis l'inauguration en 1958 de «Chez Mario» à Lausanne, les pizzerias n'ont cessé de se multiplier, avant d'atteindre un équilibre face à la demande. «Il y en a qui ouvrent et d'autres qui ferment mais dans l'ensemble leur nombre reste stable», indique Rui Pereira, vice-président de GastroVaud et exploitant du Veneto à La Tour-de-Peilz.

Aujourd'hui, près d'un restaurant sur dix est une pizzeria. Soit plusieurs centaines d'adresses au total. La plus plébicitée - selon un sondage lancé sur nos réseaux sociaux - est le Bar du Coq à Yverdon. Un curieux clin-d'oeil du destin puisqu'au départ la gérante voulait surtout ouvrir une «spaghetteria» et que les pizzas ne servaient qu'à compléter l'oeuvre. Quant à la vénérable institution lausannoise «Chez Mario», elle attire toujours les papilles puisqu'elle arrive en seconde position. Toutes deux font également partie des coups de coeur de la rédaction de «24 heures». Pour les découvrir, cliquez ici.

Certaines enseignes proposent même des pizzas «vaudoises» en agrémentant la galette de tomme, de saucisson, de fondu de poireaux ou même de filets de perche. Mais à l'Alimentarium de Vevey, le côté local s'exprime surtout par l'utilisation d'ingrédients cultivés sous nos latitudes.

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La pizza s'est pétrie de mille histoires en traversant les âges. Au temps des cathédrales, l'assiette n'a pas encore remplacé l'écuelle ni le tranchoir, cette large tranche de pain sur laquelle on servait le repas. De ce tranchoir fleuriront maints plats servis sur pâte. C'est du latin médiéval que le mot de pizza dérive, désignant alors une fouace ou galette selon un document retrouvé à la cathédrale de Gaète en plein cœur du Latium. Pour retrouver un plat qui commence à lui ressembler, il faut aller chercher du côté de Gênes et d'un condottiere de marine nommé Andrea Doria. La «piscialandrea» qui fait référence à ce personnage historique pourrait en effet être la première version de la pizza italienne comme de la pissaladière niçoise.

Fait intéressant, cette galette constituait le «casse-dale» des boulangers italiens qui profitaient de la cuisson pour vérifier la chauffe du four, comme l'explique Didier Nicolet, spécialisé dans la confection de pains anciens. Chaque jeudi, le Vaudois allume le four banal de Croy pour pratiquer son art culinaire selon les préceptes d'autrefois. Malgré la course contre la montre que représente la fabrication de 100 kg de pain décliné en une dizaine de variétés, le passionné a pris le temps de nous présenter la recette de la pâte à pizza au levain.

Vidéo: ANETKA MÜHLEMANN

Sous sa forme actuelle, la pizza n'a pas d'autre origine que napolitaine. La plus vieille pizzeria du monde naît en 1738 à Naples. C'est alors un simple comptoir où les passants viennent acheter un morceau de pizza. La première pizzeria ouvre un siècle plus tard. Rue Port'Alba à Naples, le restaurant à l'enseigne de l'Antica Pizzeria Port'Alba existe toujours.


C'est en dialecte napolitain en 1535 que le mot pizza acquière sa popularité. Un conte populaire écrit en 1634 fait ainsi mention d'un pain de garde garni nommé pizzela qui pouvait être sucré ou salé. La plus proche de celles que nous connaissons aujourd'hui est la pizza bianca mastunicola, qui n’est alors qu’une pâte enduite de saintdoux et garnie d'un peu de fromage et d'herbes dont le basilic. Le petit peuple de Naples, les lazzaronis, mange cette pizza blanche dans la rue. Tandis que dans les palais, les nobles et bourgeois s'attablent autour d'un plat de pâtes, des macaronis à la sauce tomate, qui n'étaient pas à la portée de toutes les bourses. La rue qui regarde en l'air et admire ces belles personnes va alors teinter son quotidien de ce noble rouge. La pizza bianca se recouvre de sauce tomate, cette purée d'un fruit qui débarque dans la botte au XVIe sicèle. La pizza rossa est née de ce mariage.

Le mot pizza apparaît en dialecte napolitain en 1535. Il dérive d'un mot latin qui désignait une galette. La pizza la plus populaire, aux couleurs du drapeau italien (tomate,mozzarella, basilic) a été baptisée pizza Margherita. Un prénom de femme pour une belle italienne. Ce nom provient d'un supposé récit historique du XIXe siècle.



Umberto 1er, alors roi de Savoie, aurait voulu rallier les Napolitains à sa cause, celle de l'unité italienne. En visite à Naples avec sa femme en juin 1889, il aurait souhaité goûter une spécialité locale. Pour faire honneur au roi, l'une des pizzas qui lui a été présentée, aurait été appelée Margherita, en l'honneur de son épouse née Margherita Teresa Giovanna. Cette histoire est sans doute un mythe qui participe au récit national de l'unité italienne, avec le rattachement de Naples au Royaume d'Italie dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

Source: «Pizza connexion», Sylvie Sanchez, CNRS Editions, 2007 .

En 1984, Antonio Pace et Lello Surace ont réuni les plus fameux pizzaïolos pour établir le canon de la pizza napolitaine. Depuis c'est l'association Verace Pizza Napoletana qui s'est donnée comme devoir de protéger la tradition et les spécificités de cette spécialité.
En voici les caractéristiques: elle est ronde et d'un diamètre de 30 à 35cm; des bords épais et gonflés, une pâte douce et élastique garnie d'ingrédients originaires de Campanie, avec une huile d'olive vierge, de la mozzarella ou du fiordilatte DOP.

Deux variétés sont inscrites au registre de l'AVPN, la Marinara (tomate, huile, origan,
and ail) qui constituait le repas des pêcheurs (d'où son nom) et la Margherita (tomate, huile, mozzarella ou fior di latte, fromage râpé et basilic).

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