Bloqué en Mongolie, ma coronaventure

Une pandémie de coronavirus et un pays qui supprime les vols internationaux. Suivez le quotidien de Sébastien Féval, photographe de «24 heures», en quarantaine forcée.

Le jour où tout s'est verrouillé

Voilà, c’est le dernier jour que je passe dans ce coin reculé de Mongolie, entre taïgas et montagnes, le pays des Tsaatans, ethnie nomade éleveurs de rennes depuis des millénaires.

Même si le froid tenace et mordant, et le confort plus que spartiate du lieu ne m’ont pas rendu la vie facile, j’éprouve comme un pincement de devoir retourner dans le monde civilisé et moderne. Mais rien ne presse, il est tôt, on viendra nous chercher, Duurii, la guide qui m’accompagne et moi-même, en début d’après-midi.

Ensuite il nous faudra encore quelques jours pour rentrer à Oulan-Bator avant de décoller pour la Suisse.


Tsagaan Nuur

Un premier cas

Bien que complètement isolé, les Tsaatans n’en sont pas moins connectés au reste de la Mongolie, le réseau mobile fonctionne parfaitement. C’est d’ailleurs la sonnerie du natel de Duurii qui me sort de songes hivernaux. La tonalité de sa voix prend rapidement un ton inquiet, aucuns repères avec la langue mongole, rien pour me mettre la puce à l’oreille sur la teneur de la discussion. Si, quand même, un : coronavirus !

A peine le téléphone bouclé, j’apprends qu’il y a un premier cas en Mongolie apporté par un ressortissant français et que le pays va rapidement se fermer comme une coquille d’huître. Nous devons partir immédiatement et essayer de rejoindre la capitale le plus vite possible. Au risque de rester bloqué ici pour une durée indéterminée.


Duurii, la guide, dans les rues de Mörön

Heureusement, Duurii, en guide prévoyante, a demandé au chauffeur de venir en début de matinée car en fonction des pistes défoncées et enneigées qui nous attendent pour retourner au premier village, le temps de parcours peut facilement doubler voire tripler. Le chauffeur à peine arrivé, nous plions bagages en direction du premier village. Les accès sont déjà fermés mais comme j’ai un vol dans quelques jours pour quitter le pays, nous devrions obtenir un laisser-passer pour la capitale à 1000 km de là (en rouge sur la carte).

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Crédit: Openstreetmap

Il faut d’abord passer par la police qui vérifie que nous avions bien les autorisations pour être ici, obligatoire car proche de la frontière russe. Nous sommes bel et bien enregistrés. Mais on vérifie mon passeport et mon visa. L’atmosphère est tendue. On me demande une preuve de mon vol de retour et depuis quand je suis en Mongolie. Cela fait maintenant quinze jours, ce qui à l’air de les rassurer. On nous accompagne ensuite à la mairie, qui elle aussi, doit valider notre laisser-passer. Après d’interminables discussions, enfin cela se précise, nous devrions pouvoir partir.

Mais d’abord il faut passer à l’hôpital, nous devons passer un examen médical. Je n’en mène pas large, l’hygiène alimentaire n’est pas des plus sûr et j’ai depuis mardi un peu mal au ventre, je me sens un peu vaseux. Je n’ose pas imaginer ce qui adviendra si j’ai un peu de fièvre. Lorsque je retire, angoissé, le thermomètre de mon aisselle, il indique 35.9, le stress retombe. Mais pas la tension. Ma pression est beaucoup trop élevée. On me pose beaucoup de questions, on m’ausculte, mais on me laisse partir avec un certificat médical précieux pour passer les prochains contrôles.

«On nous fait rebrousser chemin»

Après de longues heures de piste, nous arrivons enfin dans le prochain village ou nous devons changer de véhicule, le chauffeur ne pourra pas aller plus loin. Barrage à la sortie du village, longue attente dans la voiture mais on nous laisse passer. Une vingtaine de kilomètres plus loin, rebelote, mais cette fois on nous fait rebrousser chemin pour aller chercher une nouvelle autorisation dans la mairie d’un tout petit village. Il est déjà huit heures du soir, nous sommes parti le matin à dix heures et chaque négociation prend beaucoup de temps. Il nous reste une centaine de kilomètres à parcourir et encore au moins deux barrages à franchir.


Les yourtes où s'effectuent les contrôles

Enfin, nous arrivons dans la ville de Mörön (au milieu de la carte). Mais bien sûr, ne rentre pas qui veut. Beaucoup de monde attendent de pouvoir passer. J’attends de longues minutes dans la voiture refroidie pendant que la guide parlemente avec la police. Puis on m’indique de sortir du véhicule, on sort les bagages. Le chauffeur ne passera pas. Énervée, Duurii sort de la yourte qui sert de poste de contrôle, elle m’explique qu’un jeune officier zélé, bien qu’avec tous nos documents validés par les multiples autorités, refusait de pas nous laisser passer prétextant qu’un ressortissant suisse avait disparu de la circulation depuis plusieurs jours, et que ne sachant pas où nous étions il était plus précautionneux de nous placer en quarantaine. Entre temps le chef a réapparu et les choses se sont arrangées. Une autre voiture nous a enfin déposé à l’hôtel. Il est presque minuit.

Le lendemain, malgré tous nos documents, il s’agit d’obtenir d’autres dérogations mais après la matinée passée au gouvernement régional, on nous refuse le droit de circuler. Impossible de rejoindre la capitale.

J’apprends que mon vol de samedi est annulé et que tous les vols internationaux sont suspendus jusqu’au 28 mars. Nous sommes le 11 mars, il va falloir être patient.

© Tamedia