Vers un départ?

De Mörön à Oulan-Bator

Confortablement installé dans ma chambre d’hôtel, j’entame le bouquin «Petit traité sur l’immensité du monde» de Sylvain Tesson (je suis très Tesson en ce moment). Heureusement, j’ai apporté avec moi suffisamment de lecture. La sonnerie de mon téléphone m’oblige à interrompre les premières pages commencées. C’est l’ambassade de Suisse à Pékin. C’est elle qui gère les cas de ses ressortissants en Mongolie.



On m’informe que le gouvernement mongol s’apprête à affréter un avion en direction de Moscou, puis de Berlin, afin de rapatrier les Mongols bloqués à l’étranger. On me dit qu’il y aurait une possibilité d’embarquer sur ce vol à vide pour rejoindre l’Europe. Je vais devoir payer ma place. Mongols, mais pas fous!

Mais d’abord, et c’est le plus urgent, il s’agit de rejoindre la capitale dès que possible. L’ambassade va s’occuper directement de l’obtention des documents nécessaires avec le Ministère des affaires intérieures afin que l’on nous laisse quitter la ville de Mörön. Il faudra ensuite les faire contresigner par la Mairie, faire un nouvel examen médical, trouver une voiture et un chauffeur, ensuite de quoi, lever le camp pour sept cents kilomètres de route. Nous partirons demain matin.

Les postes de contrôles...

... se succèdent...

... mais se ressemblent pas.

À peine réveillés, nous prenons la direction d’Oulan-Bator sans oublier nos précieux sésames. Arrive le premier barrage. Il n’a pas été installé là pour l’occasion, c’est un vrai poste de police. Munis de leurs sauf-conduits, Duurii et le chauffeur pénètrent dans les locaux du commissariat. Je me prépare à devoir patienter de longues minutes dans la voiture, mais à ma grande surprise ils en ressortent presque aussitôt. Visiblement, nos laissez-passer sont efficaces. J’en ai la confirmation trente kilomètres plus loin, où, au deuxième contrôle, un policier nous fait signe de passer sans même nous arrêter; il a dû recevoir des consignes.

Nous ne risquons pas de perdre du temps dans des embouteillages, il n’y a personne, aucuns véhicules mis à part quelques rares camions. La route s’étire le long de steppes désertiques et monotones, souvent recouvertes de neige, où, entre les reliefs montagneux, apparaissent de temps à autre quelques chevaux impassibles. Nous quittons la route pour plusieurs heures de piste poussiéreuse, chaotique et douloureuse pour chacune des vertèbres de mon dos. La beauté de ces immenses espaces que l’homme n’a pu apprivoiser n’offre néanmoins aucune alternative. Le regard se lasse des mêmes lignes, des mêmes tons et mêmes couleurs, poussant la contemplation vers une quête intérieure.



Il y a bien cette chèvre parée de cornes élégantes au bord de la piste qui vient de mettre bas un chevreau, il doit être né à peine quelques heures plus tôt. Sa mère a l’air un peu déboussolée et semble ne pas comprendre pourquoi elle a donné naissance à ce fragile animal alors que l’hiver n’est pas fini. Isolée du reste du troupeau, elle va sans doute devoir abandonner son petit pour rejoindre les siens. Mais un cavalier arrivé de nulle part vient à la rescousse du chevreau. Il sera sauvé.



Ce qui n’est pas le cas de cette pauvre petite gazelle sauvage ensanglantée et agonisante, probablement renversée par un véhicule. Notre chauffeur essaie de la remettre sur ses pattes, mais le choc a dû être trop violent. Elle finira sa vie sur le bas-côté d’une route.

La nuit est tombée depuis longtemps quand, enfin, après le dernier contrôle et plus de douze heures de route, j’aperçois les lueurs de la capitale Oulan-Bator. Je verrai demain matin ce qu’il en est de la suite de ce voyage.

© Tamedia