Sur la route

Dans l'attente, les souvenirs du voyage

J’en ai un peu marre des regards de travers, je reste aujourd’hui dans ma chambre d’hôtel. Comme une vendeuse de légumes me l’avait si gentiment suggéré hier au marché.

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J’en profite pour me remémorer la route parcourue jusqu’aux confins de la Mongolie et les rencontres croisées pendant le trajet. Il y a aussi quelques photos à traiter sur mon ordinateur, comme pour marquer quelques étapes de ces trois cents kilomètres à travers steppes, rivières, lacs et montagnes.

Nous partons pour Khatgal, village sur les bords de l’incroyable lac de Khövsgöl. Souvent considéré comme le petit frère du lac Baïkal, qui ne se trouve pas très loin, il est sacré pour les différentes communautés de la région. N’allez surtout pas uriner dans ses eaux, sous peine de gros problème!


L'hiver, la glace qui se forme sur le lac Khövsgöl permet aux véhicules de se déplacer très facilement.

Il est surnommé «la perle bleue de Mongolie», et je comprends vite pourquoi. Sa beauté est à couper le souffle! Il est entièrement recouvert de glace et le chauffeur n’hésite pas à s’engager avec sa voiture comme si c’était une route principale. Lorsqu’il s’arrête et que je pose mes pieds sur le sol, cela devient encore plus surréaliste. La glace est si transparente que j’ai le sentiment que je vais tomber au fond du lac! Il doit y avoir au moins dix mètres de profondeur, j’aperçois les pierres qui jonchent le sol. Arabesques et tracés formés par les fissures embellissent d’autant plus ce lieu inspiré.

L’hiver, il s’agit bel et bien d’une route très utilisée par les véhicules, qui gagnent ainsi de nombreuses heures en fonçant tout droit. Mais n’allez pas croire que cela soit aussi simple. Sous la pression de la glace qui se développe et se casse, se forment de dangereuses barrières de mini-icebergs difficiles à apercevoir. Il y a aussi beaucoup de neige recouvrant la surface et estompant les reliefs. S’en prendre un peut, au mieux, vous faire crever un pneu, au pire vous embarquer pour quelques tonneaux. Les nombreuses rafales de vent obligent également les véhicules à des figures artistiques dignes d’un mauvais patineur! Nous roulerons sur le lac plus de cent kilomètres.


Sur le lac Khövsgöl, sous la pression, la glace qui se rompt forme de dangereuses barrières de petits icebergs que les véhicules doivent éviter à tout prix.

Il y a aussi cette halte chez des nomades qui nous accueillent pour un repas. Ils ont installé leur yourte à côté des enclos fabriqués pour leur bétail et ils passent l’hiver à cet endroit avant de partir avec leurs vaches, yaks et chevaux pour d’autres pâturages. Nous avalons quelques traditionnels buuz, raviolis à la viande cuits à la vapeur, et buvons plusieurs bols de thé au lait salé, puis il est déjà temps de s’occuper des animaux. J’assiste Monkhjin et Tuul, les filles, qui vont abreuver les petits veaux, et je contemple Ulaanaa, le père, fier sur son cheval, enseigner à sa fille cadette comment encercler le troupeau de yaks.

Ulaanaa enseigne à sa fille cadette comment encercler les yacks afin de les regrouper.

Tuul et sa soeur Monkhjin sont parties abreuver les petits veaux.

Préparation du traditionnel thé au lait sale dans la yourte d'Ulaanaa.

Je me revois traversant cette rivière en pleine nature. Elle doit bien faire dans les trente mètres de large. Le chauffeur s’est arrêté, il a sorti un gros pic à glace de son 4x4, qu’il plante énergiquement dans la glace molle de la rivière. Un petit trou se forme aussitôt, libérant l’eau prisonnière. Il s’éloigne et répète le geste à plusieurs reprises, c’est pareil à chaque fois. J’ai bien l’impression que nous ne pourrons pas traverser. Mais quelques minutes plus tard, il me fait signe de monter dans son lourd véhicule. Ah bon, on traverse? Vous êtes sûr? Moi, pas du tout! Il met les gaz à fond et s’engage.

À peine sur la glace, j’entends de gros craquements et tout se rompt, le véhicule s’enfonce et on se retrouve au milieu de la rivière, bloqués alors que le 4x4 s’enlise lentement mais inexorablement. J’ai une envie pressante de sortir de la voiture, mais je vois bien que je risque aussi de me retrouver au fond de l’eau. Le chauffeur, lui, reste stoïque. Il arrive à vite reculer de quelques mètres, remet la marche avant et le moteur pleins gaz, les roues accrochent des morceaux de glace, cela nous propulse sur des morceaux plus solides et nous nous retrouvons de l’autre côté. Sur la berge, terre d’accueil. Gros soulagement.

Arrêtée, une petite camionnette assiste au spectacle et se demande bien si elle va y aller. Elle se lance à côté de nos traces, réussit à franchir les trois quarts de la rivière, mais soudain tout lâche et voilà le véhicule pris lui aussi, il n’arrive pas à s’en sortir, son moteur n’est pas assez puissant. Évidemment, je m’inquiète, mais on me dit que ce n’est pas la peine, que les Mongols trouvent toujours des solutions.
Si on me le dit.


La glace a rompu, la camionnette s'enfonce et n'arrivera pas à traverser.

© Tamedia