L’air est frais. Je déambule dans les rues proches de l’hôtel. Peu à peu je remarque que les passants me dévisagent avec insistance et méfiance. Je sais bien que le seul cas avéré de coronavirus a été apporté par un étranger, mais je n’ai rien à voir avec ça. Serais-je devenu, l’espace de deux jours, un pestiféré? Ou simple paranoïa?

Pour en avoir le cœur net je décide de me rendre au marché de la ville. À peine arrivé, un petit groupe d’hommes est attroupé devant l’entrée de la halle de l’alimentation. L’un d’eux en me remarquant remet hâtivement son masque sur son visage et dit aux autres: «Attention, un étranger!» L’ambiance est posée…



À l’intérieur, l’atmosphère est calme, une moitié des étals sont ouverts, il n’y a pas foule. Je remarque malgré tout qu’à la vue de ma présence certains m’évitent, s’écartent à mon passage ou se dépêchent de prendre de la distance avec moi.

Au stand des fromages, nous discutons avec Tsetsgee, 60 ans, qui vend sa production. Elle avoue avoir un peu peur de me voir et se demande pourquoi les autorités n’ont pas interdit les vols internationaux beaucoup plus tôt. Sa clientèle a fortement diminué et elle espère que les choses vont rentrer dans l’ordre rapidement.

Un peu plus loin, vers les marchandes de légumes, je me fais haranguer par une vieille dame, alors que les autres restent plutôt calmes: «Qu’est-ce que vous faites là? Vous devriez rester à l’hôtel enfermé dans votre chambre! Je m’en fous que vous soyez Russe, Suisse ou n’importe quoi, vous ne devriez pas être ici!» On passe donc notre chemin.

Les clients du marché paraissent plutôt âgés, alors, lorsque nous croisons Uyanga, 20 ans, élégante jeune fille habillée d’un long manteau rose et d’un masque assorti à son look, nous ne résistons pas à l’aborder. Elle est accompagnée de sa mère et nous explique qu’elle est bien ennuyée d’être bloquée chez ses parents, elle est étudiante en droit à Oulan-Bator et ne peux plus suivre ses cours. Elle ne s’inquiète pas de parler avec un étranger, j’ai forcément dû passer des examens médicaux pour avoir le droit d’être ici. Sa mère, Saara, trouve cette situation plutôt agréable. Elle profite de passer plus de temps avec sa famille et n’a pas besoin de se lever tôt pour aller au travail. Et, pendant qu’elle continue ses courses, Uyanga nous glisse en aparté: «Le plus dur, c’est d’être bloqué avec ses parents!»



Nous faisons connaissance avec Ganbaatar, le gardien de la halle. Bien que la diminution des clients lui fasse perdre une grande partie de ses revenus, il reste philosophe: «Je préfère ma santé à mon salaire!» C’est alors qu’à côté, au stand de la viande, des voix s’élèvent, on a remarqué ma présence. Plusieurs dames s’énervent, l’une d’elles s’écrie: «Mais vous êtes inconscient de venir ici. On ne veut pas d’étrangers dans cet endroit. Sortez d’ici immédiatement!»

Sans doute attiré par les cris de la dame, Batbayar, le responsable du marché, s’approche de nous. En me voyant il me sourit. C’est le premier depuis que je suis arrivé. Je suis le bienvenu ici comme n’importe quel citoyen. Il a vu de nombreuses vidéos de cas de racisme à l’encontre d’Asiatiques en Europe au début de la crise et ne voudrait surtout pas reproduire les mêmes absurdités. Il ne s’inquiète pas de la situation, peut-être même que l’économie intérieur va en ressortir améliorée, les fabriques augmentent leur production, tout est disponible en grand nombre. Merci Batbayar, grâce à vous mon sentiment de paria s’est dissipé.